Depuis le rapport Laroque en 1962 jusqu’à la loi de 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement, les politiques publiques privilégient le maintien à domicile des personnes âgées et répondent ainsi à leur aspiration première. Or, si le libre choix des personnes est ainsi respecté, cette orientation pose, année après année et ce malgré des besoins prévisibles, la question de l’adéquation et de la qualité des formes de prise en charge : aides mieux ciblées selon les ressources des bénéficiaires, dispositifs d’offres mieux balisés et surtout plus lisibles, soutien des publics engagés dans le maintien à domicile (aidants familiaux et professionnels) ... 

Quel regard portez-vous sur l’accompagnement de la vie à domicile mis en œuvre aujourd’hui par la puissance publique ?

L’idée de la vie à domicile est généralement fantasmée par rapport à la réalité du quotidien. Quand une personne âgée vit aujourd’hui à domicile, elle est trop souvent exclue de la société car elle ne bénéficie pas d’un accès à la vie sociale. À l’inverse, et même si il semblerait qu’en grande majorité les personnes âgées disent ne pas souhaiter vivre en établissement car ceux-ci souffrent d’un déficit d’image, les personnes qui y vivent sont majoritairement satisfaites car il leur est plus facile d’y avoir une continuité de vie sociale par un accès à un grand nombre de services mutualisés. Elles considèreraient néanmoins y avoir moins de choix en comparaison de leur domicile, où elles pourraient décider de tout. Ce qui est rarement le cas car quand une personne fragilisée y est insuffisamment accompagnée, elle n’a que peu de possibilités. Il convient donc de revoir l’ensemble du fonctionnement de l’aide aux personnes âgées car la situation reste insatisfaisante dans les deux cas.

D’où vient cette image dégradée dont pâtissent les établissements ?

Je mets de côté les situations de maltraitance révélées ici ou là, que l’AD-PA a toujours dénoncées et condamnées lorsqu’elles ont été avérées. Même si la qualité d’accompagnement reste insuffisante aux regards des attentes, les acteurs professionnels sont très engagés et impliqués. Je pense que le fond du problème est lié à la manière dont les politiques publiques ont été construites à l’égard des personnes âgées : on mise tout sur les normes, la réglementation et la sécurité. Alors que tout le champ social reste à développer... Les personnes âgées ne sont pas des sujets malades mais, du fait de leur avancée en âge, elles vivent des situations handicapantes. Il est donc souhaitable de créer des établissements moins contraignants et plus respectueux des libertés individuelles.

Quel serait alors pour vous le « bon » modèle ?

Il convient de concevoir des modèles d’accompagnement permettant aux personnes d’avoir un choix réel entre vie en établissement ou à domicile en s’assurant que, quelle que soit leur décision, les personnes seront accompagnées comme il se doit, autant que besoin et nécessaire, pour maintenir leur sociabilisation. Depuis dix ans, se développent des structures alternatives (résidences services, résidences intergénérationnelles, habitats regroupés...) qui concilient  les  avantages  du  domicile  individuel et ceux de l’établissement avec des services mutualisés. Pour respecter le libre choix de la personne, une solution serait de créer des structures qui relèvent du Code de la construction et de l’habitat – et donc du droit commun comme pour toutes les autres formes d’habitat –, dans lesquelles l’intervention de services proposés, notamment à domicile, dépendraient eux du Code de l’action sociale et des familles pour en garantir la qualité d’accompagnement. L’enjeu majeur reste donc l’augmentation du temps d’accompagnement pour la toilette, l’habillement, etc., et aussi pour l’ensemble des activités permettant aux gens de se réaliser. Toute la difficulté est là car les professionnels sont encore en nombre insuffisant et leur typologie pas assez diversifiée pour, d’une part, assurer le développement de la vie sociale des personnes âgées et, d’autre part, créer des services en conséquence pour permettre ce réel enjeu de société inclusive.

Parler de société inclusive sous-tend que les politiques soient conçues « pour » mais aussi « avec » les personnes âgées...

Ce serait une belle manière de réaffirmer que, dans notre société, les personnes âgées participent à la vie économique et ne sont pas « une charge ou un poids financier ». On le voit notamment avec la silver économie, un secteur créateur d’emplois. Il faut avoir une vision très large du sujet : penser un environnement conçu pour les publics vulnérables est au bénéfice de tous. Développer des formes d’habitats regroupés pour continuer à vivre dans un environnement familier, maintenir des petits commerces et des emplois de proximité, repenser l’aménagement territorial et adapter l’urbanisme :  tout le monde est gagnant ! Il faut croire en les capacités des gens pour concevoir une société qui les inclut pleinement. Mais ce n’est pas évident au sein d’une société très âgiste et utilitariste comme la nôtre…

Source

Cet entretien est issu du livre blanc de la Mutuelle Intégrance « Perte d’autonomie – protéger, accompagner, sensibiliser, innover ».